Comme le répète notre co-fondateur Cyril De Sousa Cardoso, il est facile de parler d’éthique de l’intelligence artificielle (IA) mais bien plus efficace d’agir.

Aujourd’hui, l’IA fait partie de notre quotidien, souvent de manière invisible, en ayant un impact et une influence à différents niveaux : par exemples, lorsque l’on demande un prêt à la banque pour acheter une maison, ou lorsque nous faisons confiance à la traduction générée par les systèmes automatiques en ligne.

Partant de l’hypothèse que toute technologie est un phénomène social et politique, donc capable de transformer la société, ses institutions et son fonctionnement, une attention particulière doit être adressée à ces transformations pour les diriger, de manière consciente et volontaire, vers une société technologique qui soit bienveillante envers tous ses citoyens. Pour ce faire, il est urgent d’ouvrir le débat autour de l’éthique de l’IA avec les décideurs politiques, les acteurs privés producteurs de technologies et la société civile, afin d’établir la direction que nous souhaitons donner aux transformations provoquées par ces systèmes.

L’application des études de recherche en éthique dans les phases de conception, UX, design et déploiement devient une nécessité à laquelle les entreprises doivent faire face. Depuis deux ans la littérature en matière d’éthique de l’intelligence artificielle s’est considérablement enrichie et l’encre a beaucoup coulé sur le sujet. Cependant, les entreprises qui développent ou exploitent des systèmes d’IA produisent des avancées technologiques qui remettent souvent en question les avancées de la recherche et des institutions en matière d’éthique ; cela se produit, d’un côté à cause d’un manque d’application de travaux de recherche et, de l’autre côté, car beaucoup d’entreprises n’ont pas encore saisi l’importance des réflexions philosophiques autour des nouvelles technologies.

Pour sortir de cette impasse, l’éthique doit devenir une pratique et non une chose figée, un exercice quotidien de transformation de la nouvelle ère digitale. Ces transformations doivent être engendrées par les questions concernant la société technologique que l’on veut construire. Comme le dit Mariarosaria Taddeo, directrice adjointe du Digital Ethics Lab de l’Oxford Internet Institute, « lorsque nous considérons comment utiliser l’IA comme une force du bien, nous devons également nous poser la question de savoir quel type de sociétés nous voulons développer en utilisant cette technologie. Nous façonnons l’IA puis l’IA revient pour nous donner forme. La question est de savoir quel type de forme nous voulons prendre et comment nous pouvons utiliser l’IA pour nous y emmener[1] ».

Pratiquer l’éthique dans la vie de tous les jours n’est pas réservé aux chercheurs en philosophie, au contraire, cela doit impliquer quiconque a à voir avec l’IA. La société entière doit être impliquée dans la prise de décisions à tous les stades de développement et de conception des systèmes d’IA, tandis que les individus à titre individuel peuvent dès aujourd’hui faire des choix qui reflètent la technologie que nous voulons voir dans le monde de demain.

Comment envisager alors ces bonnes pratiques ? Et commencer dès aujourd’hui à titre individuel ? Le Center for Humane Technology, une organisation à but non lucratif lancée en 2013 par l’ancien éthicien du design de Google, Tristan Harris, a publié le 2 octobre 2020 une liste de 10 actions individuelles à mettre en place afin de redémarrer notre expérience avec la technologie.

  1. Désactivez les notifications : les notifications apparaissent souvent sous la forme de points rouges car le rouge est une couleur de déclenchement qui attire instantanément notre attention. Évitez d’être attiré par des applications qui profitent de votre attention et récupérez votre temps en désactivant les notifications.
  2. Supprimez les applications toxiques : supprimez les applications qui profitent de la dépendance, de la distraction, de l’indignation, de la polarisation et de la désinformation.
  3. Téléchargez des outils utiles : nous n’allons pas résoudre les problèmes de technologie avec plus de technologie, mais certains outils sont plus utiles que d’autres.
  4. Éliminez l’indignation de votre alimentation : nous votons en quelques clics. Ne soutenez pas les sites qui polluent notre environnement culturel avec du vitriol via les pièges à clics et l’indignation.
  5. Suivez les voix avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord : les médias sociaux nous servent du contenu avec lequel nous sommes déjà d’accord pour nous garder en ligne plus longtemps, ce qui réduit notre capacité à interagir avec des personnes qui ne partagent pas nos opinions. Pour résoudre les problèmes de la pauvreté au racisme en passant par le changement climatique, nous devons nous rassembler et nous exposer à des perspectives différentes.
  6. Soyez compatissants : les réseaux sociaux profitent de la haine et de la colère car ils génèrent plus d’engagement. Battons-nous avec compassion.
  7. Définissez des limites : nous utilisons nos téléphones et nos fils d’actualité dès le réveil, jusqu’à l’endormissement et même dans la salle de bain.
  8. Déconnectez complètement un jour par semaine : prenez une journée complète sans téléphone et sans médias sociaux par semaine. Ce n’est pas seulement bon pour vous – si tout le monde faisait cela, cela réduirait le temps total passé sur les plateformes sociales de 15%.
  9. Souvenez-vous du positif : si vous recevez 99 commentaires positifs sur un message et un commentaire négatif, sur quoi vous concentrez-vous ? Nos cerveaux axés sur la survie ont tendance à se concentrer sur le négatif.
  10. Soutenez le journalisme local : ne forcez pas votre journal local à jouer au jeu de piège à clics des réseaux sociaux. Soutenez directement votre journal local en payant un abonnement afin que nous puissions rester le client, pas le produit. La démocratie ne fonctionne pas sans un journalisme sain[2].

C’est une première liste d’actions de bonnes pratiques éthiques à mettre en place pour commencer, étape par étape, à reprendre le contrôle des technologies qui nous entourent, y compris les algorithmes et les intelligences artificielles. L’entraînement à cet exercice quotidien est l’un des exemples de la manière dont l’éthique peut avoir un impact positif sur base individuelle et, en partageant et en sensibilisant sur ces enjeux, tous les participants à ces actions peuvent avoir un impact significatif sur la société de demain et sur la manière dont elle va transformer les nouvelles technologies.


[1] Thomas Macaulay, “Our goal shouldn’t be to build merely ‘trustworthy’ AI: Mariarosaria Taddeo, Deputy Director of the Oxford Internet Institute’s Digital Ethics Lab, explains why AI ethics must be a continuous practice” in The Next Web, 28 septembre 2020, disponible à l’adresse : https://thenextweb.com/neural/2020/10/05/nasa-releases-images-of-the-first-craters-on-mars-discovered-by-ai/

[2] Center for Humane Technology, “Take Control”, 2 octobre 2020, disponible à l’adresse : https://www.humanetech.com/take-control