Depuis l’apparition des premiers smartphones dans les années 2000, l’ensemble des interactions possibles qui sollicitent leurs utilisateurs s’est développé au fil du temps. Si à l’époque des téléphones fixes les seules notifications qui pouvaient nous solliciter étaient les appels de tout genre, soient-ils de nature commerciale ou personnelle, aujourd’hui nous faisons face à un phénomène qui, à première vue, semble être similaire mais qui pourtant engendre des questions éthiques qui font appelle à une technologie plus avancée. Lorsqu’on parle de notifications aujourd’hui, nous faisons référence à un système élaboré d’avis qui vient attirer l’attention des utilisateurs.  En effet, les notifications push sont des messages instantanés qui s’affichent sur l’écran des smartphones, lorsqu’une application souhaite solliciter l’utilisateur. Ces messages peuvent apparaître lorsque nous recevons des messages personnels, comme par exemple des e-mails, mais ils peuvent également apparaître lorsque, par exemple, une application mobile d’e-commerce, d’actualité ou de service en ligne souhaite communiquer quelque chose. Elles sont appelées notifications « push » car le message est envoyé à l’utilisateur, sans que celui-ci n’ait à effectuer d’action de sa part (« pull »). La différence entre les deux notions est qu’en push c’est le serveur qui envoie la requête, alors qu’en pull c’est l’utilisateur qui consulte le serveur. L’action push se produit automatiquement sans que l’utilisateur ait demandé à obtenir des informations : la technologie push communique toujours des serveurs vers les appareils des utilisateurs. Cette technologie laisse donc aux producteurs d’applications mobiles une marge de liberté importante à solliciter ses utilisateurs. C’est la raison pour laquelle il est important, d’abord, de comprendre ce nouveau phénomène technologique, pour ensuite mobiliser les instruments éthiques aptes à guider le développement et le déploiement des technologies existantes au sein des systèmes de notifications push.

D’abord, pour qu’une application puisse joindre l’écran d’un smartphone, il faut que l’utilisateur ait consenti une première fois à recevoir des notifications. Cependant, la possibilité de les paramétrer n’existe pas, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de choisir quelle typologie de notifications l’on souhaite recevoir, à quel moment de la journée, à quelle fréquence, etc. Pour le dire autrement, en consentant aux notifications push, nous acceptons implicitement d’être interrompus de manière instantanée et aléatoire à n’importe quel moment de la journée, à n’importe quel jour de la semaine. De plus, le manque de filtrage met donc l’utilisateur face à un choix qui le porte à trancher entre l’acceptation totale de notifications et son absence totale. En d’autres termes, le consentement qui autorise l’envoi de messages n’est que partiel, puisque l’utilisateur se trouvera, tôt ou tard, dans la situation de voir augmenter le nombre de notifications reçues, sans avoir pu accéder à un système de filtrage qui l’invite à choisir les informations qui pourraient véritablement l’intéresser. Il serait donc souhaitable de demander aux producteurs d’applications mobiles, qui à leur tour font appel aux producteurs de système d’intelligence artificielle, d’offrir la possibilité aux utilisateurs de choisir entre certaines typologies de notifications plutôt que d’autres.

De ce fait, et contrairement aux technologies du passé, la technologie push est rendue possible grâce aux avancées contemporaines qui ont de plus en plus augmenté la vitesse de transmission des informations instantanées et réduit les coûts, et dans ce sens l’accès élargi signifie que plus d’informations peuvent être transmises à moindre coût à plusieurs endroits. Si cette tendance est extrapolée, la promesse ou la menace d’une connectivité universelle et d’un accès immédiat par tous et à tout peut sembler imminente[1]. Si l’on emprunt une définition à la sociologie de l’information pour pouvoir situer ce phénomène, nous sommes face à l’ « information pollution[2] », la pollution de l’information : e-mails massifs, spam, démarches commerciales, etc. ne sont que quelques exemples de la façon dont la technologie a facilité la transmission de messages et informations, mais elle l’a également rendue plus intrusive et moins personnalisée. Pourtant, pour combler cette dernière lacune de personnalisation, les nouvelles technologies de notifications numériques ont pris le relais : grâce aux technologies d’intelligence artificielle et de profilage, le problème du ciblage devient presque obsolète. L’envoi d’une publicité personnalisée via une application mobile d’e-commerce à un client particulier devient une tâche beaucoup plus simple que de le faire manuellement. Cette rapidité et cette efficacité du marketing vont cependant à l’opposé du libre arbitre de l’individu, qui doit décider librement de quelle manière, à quel moment et s’il souhaite recevoir des informations par le biais des notifications.

C’est la raison pour laquelle, la technologie des notifications a évolué de façon exponentielle au cours des dernières années, devenant la pierre angulaire d’innombrables entreprises et start-ups à travers le monde, telles que les plateformes d’engagement mobile à part entière sur les appareils Android et iOS, se spécialisant notamment dans le ciblage. De quoi s’agit-il ? Bien que nous puissions penser que les notifications qui arrivent sur nos smartphones sont les mêmes pour tout le monde et envoyées de manière aléatoire, en réalité il existe des formats de notifications push qui parviennent à transmettre des messages, des liens externes, des images, des emojis, des boutons d’action, des fichiers audio et vidéo, etc. En outre, la fonctionnalité qui mérite le plus notre attention est notamment celle qui implique le ciblage : les notifications push qui exploitent cette technologie se servent des données collectées sur l’utilisateur pour comprendre, par exemple, dans quel créneau horaire celui-ci aura plus de chances d’ouvrir le message de notification et d’interagir avec l’application qui l’a produit, ou quel type de notification va avoir plus de chances de provoquer une réaction chez l’utilisateur. En d’autres termes, les données qui, aux yeux des entreprises, construisent notre identité numérique – notion très vaste et débattue qui mériterait d’être creusée mais nous n’allons pas le faire ici – permettent de cibler et de créer des publicités en fonction de nos intérêts selon une stratégie marketing rigoureuse.

Sur le marché numérique actuel, il existe des services qui permettent de cibler avec précision les clients que l’entreprise souhaite notifier. Ces technologies permettent de les atteindre précisément, en créant des segments d’utilisateurs très granulaires basés sur l’utilisation de données tierces, à savoir à travers des croisements de données communes à un ensemble d’utilisateurs, permettant de calibrer les campagnes publicitaires. Cela est rendu possible grâce à des systèmes d’intelligence artificielle qui utilisent des scripts d’apprentissage automatique (machine learning) et qui visent à analyser le taux d’implication des utilisateurs. À travers l’exploitation des données de navigation et des comptes utilisateurs, ce système d’intelligence artificielle est capable de générer des référentiels d’utilisateurs.

Les problèmes éthiques qui émergent de ces technologies sont multiples : tout d’abord, si l’on mobilise le principe de transparence, défini par l’article 5 de la RGPD qui précise que les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée[3], combien d’utilisateurs sont réellement conscients de la manière sophistiquée dont ils reçoivent quotidiennement les notifications ? À travers quelle documentation et à quel niveau d’accessibilité certaines technologies ont-elles été communiquées et rendues publiques pour que les utilisateurs en soient pleinement conscients ? Si on a autorisé l’utilisation de nos données personnelles sur une page Internet spécifique, qui, par la suite, transfère ces informations à des tiers (comme dans le cas du gestionnaire de notifications), ces derniers sont réellement et légalement autorisés à faire du ciblage publicitaire avec ces informations ? Ce sont des questions parmi d’autres qui soulèvent des questions d’ordre moral concernant l’exploitation des systèmes de notifications push que les sciences philosophiques doivent regarder de près, afin de toujours protéger les droits et les intérêts des utilisateurs.


[1] Dan Ryan, « Getting the Word Out: Notes on the Social Organization of Notification », in Sociological Theory, vol. 24, no. 3, American Sociological Association, Septembre 2006, p. 232.

[2] Ibid., p. 230.

[3] Conseil Européen, règlement n° 2016/679 dit Règlement Général sur la Protection des Données, Bruxelles, Journal Officiel de l’Union Européenne, 2016, article 5 : « Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel ».